« REVELATION » : un mot qui a changé de signification chez nous
Le jeu favori de certains hommes de media (journalistes, chroniqueurs, politiciens populistes) est de réduire la réalité sociopolitique à la notion de révélation. N’importe quelle baliverne est créditée de « révélation ». Or qu’est-ce qu’une révélation ? Au sens laïc, ce mot désigne l’acte par lequel on fait une découverte d’une importance capitale qui, par son « son évidence et sa nouveauté », s’impose à l’esprit. Dans ce sens la révélation apporte toujours des éclaircissements nouveaux, décisifs pour se faire une idée plus nette sur un problème ou sur une énigme. En sport, en littérature ou en politique une personne est considérée comme une révélation lorsqu’elle montre des capacités exceptionnelles qui s’imposent à l’opinion. Au sens religieux, tout le monde sait ce que signifie révélation : prophétie ou intervention surnaturelle tirant sa source de Dieu ou de puissances irrationnelles. Le dénominateur commun de toutes ces acceptions du mot révélation, c’est le caractère inattendu et à la limite exceptionnel d’une information, d’un savoir ou d’un savoir-faire qui change radicalement la perception des choses.
Un petit tour dans les sites d’informations et des journaux montre cependant que ce mot est abusivement utilisé par les hommes des media. Il arrive même qu’une pseudo révélation soit faite sur une chose dont l’intelligibilité se perd justement à cause de cette prétendue révélation. De toute façon, au rythme de cette inondation de révélations, c’est la société et la réalité qui deviennent totalement mystérieuses. Tout serait donc flou, obscur, déformé : nous serions donc dans une société où même l’envol d’un oiseau nécessite une révélation. Non, il faut revenir à plus de sérieux et de sérénité ! Faire une révélation suppose qu’on dispose d’informations ou de savoirs ou de savoir-faire que les autres n’ont pas, cela implique également que le problème discuté connaitra une évolution dans sa compréhension ou sa résolution. Mais des révélations qui assombrissent l’horizon de notre perception sont plutôt de l’ordre de l’illusion. En réalité la notion de « révélation » au Sénégal semble relever de la mythomanie.
La mythomanie ou pseudologia phantastica (ce concept est plus approprié pour désigner la réalité que nous voulons décrire ici), est un type de mensonge dans lequel la personne est inclinée (au sens pathologique du terme) à croire à la réalité de sa production créative imaginaire. La personne s’incarne carrément dans son monde imaginaire : il s’identifie à lui, et pense toute la réalité extérieure en fonction de sa création fantastique. Le mythomane prend sa revanche sur la réalité par une faculté fabulatrice qui n’a ni limite matérielle ni censure morale : plus c’est gros, plus le mythomane se sent pousser des ailes. Certaines déclarations trouvant leur justification dans la nécessité de libérer l’Afrique relèvent ni plus ni moins de l’enfantillage et de l’infantilisme des masses. La Chine s’est libérée sans tambour ni trompette. Ce qu’il y a à faire n’a pas besoin d’être chanté. La Turquie a pris son destin en main sans ce concert de complaintes et de surenchères verbales. Le Rwanda a posé des actes au lieu de se gargariser de formules et d’adopter un ton révolutionnaire. Il est temps de dire que le divorce avec la France n’est pas une vocation encore moins une fin en soi, ça ne peut être qu’une conséquence d’une posture, d’intérêts inconciliables : on n’a besoin d’être anti-français pour être un patriote, il faut arrêter cette imposture !
La fabrique de l’information a pris le pas sur la quête de l’information ; la fantaisie devient le critère de l’excellence comme si nous étions tout le temps, et tous, dans l’univers artistique. Encore qu’il importe de rappeler que la fantaisie artistique est d’autant plus géniale qu’elle garde un pied dans la réalité dont elle n’est finalement d’ailleurs qu’une allégorie, un prolongement ou une anticipation.
Alassane K. KITANE