La forte politisation de l’Administration publique est une réalité au Sénégal. A votre avis, comment doit-on s’y prendre pour éviter cela ?…Par Mor SECK
Cette dérive viole deux règles constitutionnelles majeures qui fondent notre Nation, à savoir l’égalité des citoyens devant le service public et la défense de l’intérêt général. Cette situation a, naturellement, des conséquences extrêmement néfastes dans la vie de la Nation, parmi lesquelles, je cite juste une qui est d’actualité: La divulgation systématique d’informations à caractère confidentiel et/ou de secrets d’Etat sur la voie publique. Le constat est, qu’en réalité, politique et Administration cohabitent très mal au Sénégal, surtout depuis 2000. D’ailleurs, la situation est devenue, aujourd’hui, extrêmement grave et même dangereuse pour l’Etat qui voit son mythe s’effondrer. En effet, l’Administration représente le bras armé de l’Etat, et la fragiliser revient à fragiliser l’Etat.
L’Agent de l’Etat, quelle que soit sa coloration politique, ne peut se permettre de violer l’obligation de réserve à laquelle il est tenu ; il ne peut divulguer des documents estampillés «Confidentiel» ou des «secrets d’Etat» sans autorisation expresse de sa hiérarchie. L’Agent de l’Etat doit toujours comprendre et garder à l’esprit que sa position constitue un privilège qui requiert de lui une loyauté envers l’Etat et son Administration et non une loyauté envers des individus quel que soit leur rang ou leur fonction.
L’information qu’il détient n’est pas sa propriété, mais la propriété de l’Etat. Il ne peut, donc, pas en faire usage suivant ses sensibilités politiques. L’Etat est impersonnel, inodore et sans saveur. L’Administration est par essence neutre, rigoureuse et impartiale, au service uniquement de l’intérêt général. Malheureusement, cette pratique malsaine est devenue très courante depuis 2000 en réalité, et reste les tristes conséquences de l’engagement politique déplacé de hauts fonctionnaires de l’Etat. L’Administration sénégalaise se politise de plus en plus et à outrance ; et il est grand temps de sévir et d’assainir pour arrêter cette tendance.
Les réseaux sociaux ne peuvent, en aucun cas, être le théâtre de partage des secrets d’Etat dans une République. Certains secteurs de l’Administration, particulièrement des régies financières, restés pendant longtemps en dehors de cette mouvance, ont fini, au fil de ces vingt-deux
dernières années, à s’ériger en Administration les plus politisées de notre Etat aujourd’hui. C’est le cas, particulièrement aujourd’hui, de la Direction générale des Impôts et des Domaines (Dgid). Tous ces mauvais comportements de fonctionnaires nous ramènent à des questions d’éthique, de déontologie et de professionnalisme dans le secteur public mais aussi à un manque de culture administrative de leur part. Il ne s’agit pas d’être Agent de l’Etat pour connaître l’Administration ou pour avoir la culture de l’Administration. Il ne s’agit pas non plus, malheureusement, de sortir d’une école de formation de fonctionnaires, civils ou militaires, pour avoir une conscience administrative ou maîtriser les règles de fonctionnement de l’Administration. C’est juste une condition nécessaire, peut-être, mais pas suffisante pour être un bon Agent de l’Etat. Les valeurs républicaines sont des qualités qui prennent leur source d’abord de l’éducation familiale de base, du cursus académique et professionnel, et des croyances fondamentales d’un individu. L’Agent de l’Etat est censé incarner des valeurs ; et ce sont ces valeurs qui inspirent confiance aux usagers du service public.
En déshabillant l’Administration et l’Etat, l’Agent se déshabille lui-même et sape son autorité que lui confère sa position. Protéger l’Administration reste un devoir sacro saint pour l’Agent ; et protéger l’Administration revient à se protéger en tant que son représentant. Le pouvoir du dirigeant réside uniquement dans sa capacité à garder les informations. Ceci constitue une des principales caractéristiques de leadership. L’Agent de l’Etat exemplaire doit être plus sensible à ses devoirs qu’à ses droits. Il doit voir son choix de servir l’Etat comme un sacerdoce, comme une vocation. En réalité, tout le monde ne peut pas être Agent de l’Etat.
Quelles solutions préconisez-vous ?
La première solution à cette maladie de l’Administration se trouve dans la nécessaire réforme de l’ENA, déjà abordée; mais aussi dans le mode de recrutement et de formation des Agents non issus des écoles de formation. L’Etat doit redonner une priorité à la formation initiale, permanente et continue de ses Agents. Seuls la compétence et le mérite doivent guider le choix pour la nomination aux fonctions publiques. Ce genre de distorsions notées commande que les autorités administratives, en exercice de leurs fonctions, suspendent leurs responsabilités politiques pour conduire leurs mandats publics en respectant les équilibres nécessaires dans la poursuite par leurs structures, des missions de service public. C’est un choix qui doit leur être imposé et qu’ils doivent assumer.
Ces distorsions notées commandent aussi que la procédure de recrutement ou de nomination à des fonctions publiques par appel d’offres soit érigée en règle dans toute l’Administration, exception ne pouvant être faite, uniquement, que pour les fonctions politiques ou de
cabinet présidentiel ou ministériel. Afin de prévenir et d’éviter d’éventuelles dérives, dont les plus grosses conséquences sont subies par les usagers de l’Administration, des sanctions exemplaires pour les manquements graves aux règles d’impartialité et de neutralité dans l’Administration, pouvant aller jusqu’à la radiation et la traduction en justice des coupables, doivent être prévues, avec surtout aussi la mise en place d’un système d’alerte et de suivi.
Mor SECK