Dans la pièce Antigone de jean Anouilh, l’héroïne éponyme réclame une sépulture pour son frère, non pas sur la base des liens de sang ,mais au nom de l’humanité. De la même manière, tous ceux qui se réclament de la religion, de la culture qui nous différencie des animaux laissant leurs cadavres pourrir à l’air libre, devaient réclamer l’inhumation de cette dame, dans ce village de Pout Dagné situé dans la région de Thiès.
Ce village, plongé dans l’obscurantisme le plus profond et la plus abjecte animalité, refuse, dans une violation flagrante des droits de l’homme et des dogmes, que l’on enterre dans ses terres des griots qui, de leur fétide avis , les rendraient impures ou infécondes, et entretient le gros mensonge historique. En effet, la pratique consistant à exposer les corps des griots aux creux des baobabs remonte à une geste, un haut fait chevaleresque : lors d’une âpre et sanglante bataille, un griot qui s’était battu jusqu’au dernier souffle , s’était retranché au creux d’un baobab où il rendit l’âme.
Pour célébrer ce haut fait guerrier et se rappeler l’héroïsme de ce griot , on perpétua la pratique dont le mobile et l’explication seront plus tard tronquées par des manipulateurs et affabulateurs .Ces derniers continuent jusqu’à présent à se déployer dans notre pays , surtout sur le terrain politique ; en attestent les nombreux complots ourdis contre des hommes politiques comme Mamadou dia et Wade.
Le mensonge , la manipulation , la falsification et la tricherie font partie des gènes de bon nombre d’entre nous au point qu’on a même du mal à écrire notre récente histoire .il est temps que jaillisse la vérité autour du problème des castes. Tout comme la parenté plaisante , le problème des castes est saisi par beaucoup d’entre nous comme une des beautés et chances qui consolident notre unité et entraînent la symbiose de nos ethnies. Par contre , certains dévoient cette réalité , en profitent pour faire prospérer la stigmatisation et surtout le sectarisme. Si l’on s’en tient à bon nombre de travaux scientifiques et aux faits historiques, le griot fut un régulateur social, un conseiller du roi, un diplomate , un devin , dont le travail mémoriel a contribué amplement au maintien de l’équilibre du groupe mais aussi à la vulgarisation de notre histore.
Je ne m’étendrai point ici sur les attributs du griot ni sur son génie ni sur ses qualités morales . Mais , je me permettrai de dire qu’il ne fut pas vain qu’il fût présent dans nos sociétés, vu le rôle important que les « sacs à paroles » qu’ils sont, ont joué , parfois pour éviter une guerrière meurtrière ou une calamité à leurs peuples .
Il est vrai que des griots , dans des contrées sérères, ont été exposés au creux des baobabs. Mais, la raison fondamentale d’une telle pratique a été dévoyée dans la mesure où on cherchait à travers un tel geste à magnifier une geste griotique.
Comment peut-on s’émouvoir devant l’ignoble assassinat de floyd à qui le pays de l’oncle sam a rendu justice et se taire sur une stigmatisation aussi flagrante que deshumanisante qu’est celle à laquelle on assiste à Pout Dagné que j’appelle Pout Damné ? comment peut-on prétendre représenter la religion sans dénoncer ce que ni la morale ni la croyance ne sauraient accepter ? Comment peut-on condamner la mort de milliers d’hommes dans les cales des bateaux, pendant la honteuse traite et ne pas s’offusquer face à ce traitement dégradant d’un être humain qui n’a pas choisi sa terre natale où on lui refuse une sépulture ? Comment s’indigner devant le massacre des Tutsis et des Hutus et se taire sur ce qui pourrait être une étincelle qui pourrait provoquer un drame national ?
Nous nous taisons parce que la religion dans son orthodoxie et ses fondements n’est pas pratiquée ? Nous ne nous indignons pas, car nous avons manqué notre ndeup national que préconisait un psychologue, fin observateur d’une société en décrépitude morale ? Pourtant c e ndëp nous aiderait à exorciser le mal et à tuer le démon qui vit en nous ? De la frustration et de la marginalisation est né le plus vieux conflit que l’Afrique n’ait jamais connu.Par conséquent, nous nous devons de ne pas franchir le rubicon.
Pout Damné a été non pas dans le sectarisme mais dans la stigmatisation et la remise en cause des principes intangibles qui font et fondent notre humanitude. En d’autres occasions , antérieurement, j’ai parlé de l’autorité de l’Etat qui ne doit jamais faiblir ni tanguer . Il fallait sévir dans toute la fermeté et la rigueur afin que l’honneur et l’ordre soient restaurés dans ce petit patelin de la région de Thiès où des pestiférés et des primitifs veulent que l’homme rampe encore à quatre pattes et retourne dans les grottes.
C’est seulement par la rigueur , l’intransigeance et surtout la justice que le mal qui ronge cette communauté devait être tué par la racine . Pourtant , il a été tué par la racine , alors que Valdiodio Ndiaye , homme d’honneur et de vision , était ministre de l’Interieur. Avec des forces de sécurité cent fois moins consistantes que celles d’aujourd’hui, le charismatique et emblématique ministre , Valdiodio avait fait terrer les habitants dans leurs maisons, pour faire taire les aboiements des mâtins , et avait tenu un discours ferme et responsable. Entre- temps , des médiocres, des frileux et flasques se sont accaparés de l’appareil d’Etat pour nous faire régresser . Quiconque réveillerait ces vrais hommes d’État ayant la carrure , le charisme et le cran verraient que leur projet a été trahi par des renégats et néophytes .
La douleur éprouvée par certains est d’autant plus profonde que l’idée d’un Collectif a été agitée , quelque part, pour porter un combat contre la stigmatisation, laquelle initiative devrait être portée à la connaissance des plus hautes sphères de l’ONU. Pour ne pas discréditer le pays , je n’ai pas encouragé ce combat .Cependant, l’idée de faire voter des lois sévères pour combattre la stigmatisation sous toutes ses formes peut être encouragée et soutenue par des intellectuels épris de paix et de justice sociale .
Notre chance résulte de notre capacité à contenir nos colères et nos frustrations mais aussi à faire preuve de sérénité. Ce qui se passe dans ce pays aurait provoqué des affrontements sanglants dans un autre pays d’Afrique où les aïeux n’ont pas su établir des bases solides pour une socialisation et une commune volonté de vivre ensemble. Me plaît de rapporter ce qu’un ami ivorien me dit un jour, alors que je lui ai passé au peigne fin les criardes disparités qu’il y a dans notre système de rémunération : » Vous les Sénégalais , vous réglez vos différends à la télé et à la radio en discutaillant , mais , nous , Ivoiriens , réglons nos différends en prenant des armes « . Je lui répondis que nous sommes ouverts au dialogue et sommes tolérants . Somme toute , Molière écrivait , au XVII ème siècle, » la naissance n’est rien où la vertu n’est pas »
Félix Mboup
Professeur de Lettres Modernes