De l’exil au retour triomphal : Que devons-nous tirer des messages d’humilité et de pardon de Bamba ?

De l’exil au retour triomphal : Que devons-nous re-tirer des messages d’humilité et de pardon de Cheikh Ahmadou Bamba?…Par Dr. Moustapha Fall

« […] J’ai pardonné à tous mes ennemis pour la Face de Dieu…ô Dieu fait de mon retour d’exil un facteur de Félicité pour mon peuple et préserve-le de l’Enfer au Jour du Grand Rassemblement …ô Dieu tu m’as gratifié du mois de Safar des bienfaits ni l’acquisition, ni l’odyssée, ni les armes ne permettent de l’obtenir […]» Khassida YA Rahman Yarahim.

Ces propos de Cheikh Ahmadou Bamba résument, pour l’essentiel, la profondeur de la foi de l’homme et tout le sens derrière la célébration de son départ d’exil. En revanche, celui que l’on nomme Khadimou Rassoul, le serviteur du Prophète (PSL) eut à subir les plus sombres phases de son exil pendant sept ans, de 1895 à 1902. De violations de liberté individuelle, harcèlement, aux exactions les plus inhumaines, bref tout un arsenal de violences physique, verbale, psychologique voire institutionnelle eut été déployé contre sa personne pour l’intimider, pour le dissuader dans sa mission pour le triomphe de l’Islam. Tout un dispositif de privations de nature à le contraindre, à se parjurer et à renier sa foi en Dieu et son amour envers son Prophète Mouhamed (PSL) eut été également en branle. Nonobstant, les diverses formes de subjugations auxquelles Bamba a été soumis en mer et sur terre, il a su bien tenir haut le flambeau de l’Islam. 

Aujourd’hui, à l’occasion de la célébration de la 129ème édition du grand Magal, la question qu’on ne saurait occulter est bien celle qui consiste à savoir pourquoi Cheikh Ahamadou Bamba avait bien voulu célébrer le jour de son départ d’exil marqué par de rudes épreuves et d’endurances au lieu de célébrer le jour de son retour triomphal parmi les siens?   Quelles leçons d’humilité et de pardon devrions -nous donc en tirer pour le bien-vivre ensemble, la paix et la cohésion sociale au Sénégal ?

Pourquoi le départ d’exil de Bamba est-il célébré au lieu de son retour triomphal?

En conviant ses disciples à la célébration de son départ vers les épreuves au lieu de son retour triomphal, Bamba a su que ce n’est qu’à travers les épreuves et les endurances que l’Homme accèdera à l’Ineffable qui s’adresse à son esclave par ce verset coranique : « Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants, qui disent quand un malheur les atteint : “Certes, nous sommes à Allâh et c’est à Lui que nous retournerons” ; ceux-là reçoivent des bénédictions de leur Seigneur ainsi que la miséricorde ; et ceux-là sont les biens-guidés (S. Al-Baqara v. 155-157).

Étant en phase avec les directives et recommandations de son Seigneur, le départ de Cheikh Ahmadou Bamba pour l’exil devint une simple forme d’adoration pour son Seigneur et son retour une leçon d’humilité et de pardon pour toute l’humanité, par ricochet, pour toute sa communauté. Ainsi, son acerbe plume de pacifiste, d’humaniste pleinement trempée dans les encres de l’humilité, du pardon et de la miséricorde du Prophète Mohammed (PSL) trouva bien son écho dans les paroles d’Adieu de ce dernier devant sa communauté réunie à Mont Arafat pour l’écouter pour une dernière fois. Malgré le travail abyssal abattu au cours de sa vie, le Prophète Mouhamed n’était même pas sûr s’il avait bien rempli la mission pour laquelle il fut envoyé pour toute l’humanité. 

Devant cette immense foule de fidèles musulmans qui lui tendaient des oreilles attentives ce jour-là , le Prophète trembla sous le poids de cette lourde mission et prit sa communauté présente à témoin pour bien et mieux rendre compte de sa mission à son Seigneur : « Que tous ceux qui m’écoutent transmettent ce message à d’autres, et ceux-là à d’autres encore; et que les derniers puissent le comprendre mieux que ceux qui m’écoutent directement.  Sois témoin, ô Dieu, que j’ai transmis Ton message à Tes serviteurs.»

Paradoxalement, le travail que ce Prophète de l’Islam a abattu et pour son Seigneur et pour sa communauté est abyssal et ne fait l’ombre d’aucun doute. Le couronnement de son œuvre colossale est sans appel même pour les non-musulmans. En 1854, Alphonse Lamartine tint ces propos envers le Prophète : « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? » (Alphonse de Lamartine, 1854, p. 277-278)

Étant le serviteur du Prophète Mohammed, son modèle parfait et pour qui il a écrit beaucoup de poèmes de louange, Cheikh Ahamadou Bamba ne saurait faire, être ou agir autrement que de suivre et perpétrer les nombreux actes d’humilité et de pardon du Prophète. En décidant de pardonner ses ennemis et en choisissant de célébrer son départ d’exil au lieu de son retour triomphal, Ahmadou Bamba lègue de belles leçons d’humanité et de pardon aux communautés et à toute l’humanité.   

Les leçons d’humanité et de pardon 

On ne saurait terminer cette contribution sans se demander pourquoi les fidèles serviteurs du Prophète de l’Islam de la trempe de Cheikh Ahamadou Bamba qui, même au pinacle de leurs succès, minimisent-ils tant leurs triomphes et même tremblent-ils sous le poids de leurs bonnes œuvres ? Peut-être savent-ils une seule chose que nous ne savons pas ou négligions beaucoup par ignorance ou mégarde : que l’ego est un ennemi dangereux pour l’Homme car il peut être le démon dans les détails de nos bonnes œuvres à tout instant, à tout moment et en tout lieu. Cet ego peut nous faire croire que nous sommes « supérieurs » aux autres de par notre origine, de par notre richesse, de par notre fonction, de par notre statut social ou de par la petite et éphémère parcelle de pouvoir que nous croyons souvent posséder et qui nous pousse à croire que nous avons le droit de mort et de vie sur les individus, loin de tout décret divin. 

Alors que nous célébrons la 129ème édition du départ d’exil de Cheikh Ahamadou Bamba dans ce contexte de crise politique assez aigüe où le principal chef de l’opposition sénégalaise, en l’occurrence, Ousmane Sonko est entre la vie et la mort à l’hôpital, la logique de la foi musulmane voudrait qu’on s’apitoie sur le sort de l’homme pour le délivrer des grippes de la mort aussitôt que possible. Comment régirait-il Cheikh Ahmadou Bamba dans ce contexte de crise où un homme qui lutte contre l’injustice et des centaines d’individus y compris de petits fils de Cheikh Ahmadou Bamba croupissent dans les prisons pour délits d’opinions ou de liberté d’expression ? Quel discours Cheikh Ahmadou Bamba tiendrait-il au pouvoir étatique de ce pays pour que le Sénégal retrouve la paix et la concorde des cœurs ? 

Loin d’être une occasion de rassemblements, bombances et accoutrements, il est évident que Bamba aurait certainement placé cette célébration de son départ d’exil sous le sceau de la tolérance, du respect de la vie et de la dignité humaine. Il nous aura certainement rappelé les valeurs d’humilité et de pardon et nous sermonné sur le viatique de cette célébration de son départ d’exil comme étant de belles occasions annuelles de voyage intérieur de soi-vers-soi pour mieux neutraliser la dimension bestiale qui vit en chacun de nous et qui nous tire vers le bas avec tout son poids mondain pour freiner notre envol angélique vers l’Ineffable où l’Homme vit sa plénitude.

Bon Magal !

Par Dr. Moustapha FALL